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Les costumes dans les concerts et les vidéos de QUEEN [1/3]

Les costumes dans les concerts et les vidéos de QUEEN [1/3]

Par Sébastien Martignac

Réputés pour leur extravagance, les costumes de Freddie Mercury traduisent une théâtralité hors normes et un sens unique du spectacle. Ils sont à la fois le miroir des époques que traverse Queen, mais aussi le reflet de la personnalité et de la sexualité de son chanteur charismatique.

Si Queen est reconnu pour la qualité et la richesse de sa musique, dès leur début, le groupe a forgé ses lettres de noblesse en déployant une théâtralité singulière sur la scène rock. Tout au long de leur carrière, leurs shows et leurs vidéos dépassent largement ce que l’on peut voir à l’époque. Queen apporte quelque chose de nouveau, un concept de spectacle global et des clips atypiques qui vont marquer les esprits. Leurs costumes, et en particulier ceux de Freddie, s’inscrivent dans cette démarche artistique.

« Un concert n’est pas une interprétation en public de nos chansons. C’est un événement théâtral. » Freddie Mercury

Au début de la carrière de Queen, en 1970, le Royaume-Uni est traversé par la vague du glam rock, un courant du rock, incarné par David Bowie, T-Rex et Roxy Music en figures de proue. Leurs codes sont en rupture avec le rock de l’époque et jouent sur une image excentrique, excessive et provocante. Les chantres du glam rock cultivent l’androgynie et revendiquent un certain dandysme : ils se maquillent, portent des bottes à talons compensés, des pantalons serrés à pattes d’éléphants et enfilent aussi bien des hauts très moulants que amples…

« Flamboyance et majesté, tel est le concept de Queen. Le glamour est en nous, et nous sommes des dandys. » Freddie Mercury

Queen n’échappe pas à ce mouvement artistique et développe eux-mêmes leurs propres codes. Les membres du groupe apparaissent sur scène souvent vêtus de noir, parfois de blanc, dans un style toujours classe et sobre. « Au début, nous ne portions que du noir sur scène. Ensuite, nous avons introduit le blanc pour varier un peu, et puis ça a dégénéré ! », déclarait Mercury.

Queen Official © LatinAutor, SOLAR Music Rights Management, EMI Music Publishing, LatinAutor – SonyATV

Brian, Roger, John et Freddie évoluent sur scène sur leurs talons hauts et affichent avec panache de nombreuses tenues qui pourraient être empruntées au théâtre mais souvent dénichées dans des fripes : vestes cintrées en fourrure ou veste Biba en velours pour Freddie, parfois à motifs floraux blancs brodés, ou encore en satin noir pour John et hauts en lamé pour Roger. Brian n’hésite pas à porter des manches amples, des vestes à cols en fourrure aussi et noue parfois un foulard autour de son cou. Freddie exprime son côté glam rock jusqu’au bout de ses ongles qu’il vernis en noir, et déniche au Kensington Market tout un tas d’accessoires dont il se pare : bracelet-serpent autour de son bras et autres bracelets en métal qui tintent autour de ses poignets, mitaine en côte de maille, gant en cuir, et colliers argentés qui pendent sur son torse velu découvert. A cette époque, les hommes se maquillent pour se produire sur scène. Freddie renforce son regard à coups de crayon noir, de mascara sur ses cils et de fard sur ses paupières.

Killer Queen, YouTube Queen Official – © UMG , ASCAP, SOLAR Music Rights Management, Sony ATV Publishing, LatinAutor, LatinAutor – SonyATV, EMI Music Publishing

« Je joue sur la bisexualité parce que c’est autre chose, c’est amusant […] mais je ne veux surtout pas qu’on sache qui je suis exactement. Je veux que les gens se fassent leur propre idée de moi et de mon image. » Freddie Mercury

Mais Freddie a davantage soif de liberté, le chanteur veut se sentir encore plus libre sur scène dans ses mouvements et entend créer la propre identité vestimentaire du groupe. Queen fait donc appel, en 1974, à une designer très en vogue à l’époque : Zandra Rhodes. Si des couturiers habillent aujourd’hui certains artistes pour leurs tournées, cela ne se faisait pas encore dans les années 70. La créatrice aux cheveux roses capte les attentes de Freddie et conçoit la fameuse tunique en satin blanc avec les grandes manches chauve-souris que le chanteur déploie sur scène comme s’il avait des ailes. L’effet escompté fonctionne : Freddie joue avec la fluidité du tissu pour accentuer certains mouvements, produisant un effet théâtral dramatique efficace ! Zandra Rhodes réalise également une très belle veste pour Brian et crée ainsi une cohérence entre les deux front men de Queen. On verra d’ailleurs d’autres tenues de Zandra Rhodes portées par Freddie dans le clip de Bohemian Rhapsody et lors de la tournée A Night At The Opera, en 1975, notamment celles en satin blanc avec des petites ailes cousues sur les avant-bras et au-dessus des chevilles du chanteur. Ce costume est un clin d’œil au dieu romain Mercure, le messager des dieux (Hermès chez les Grecs), qui portait des sandales ailées.

Tenues de scène de Brian et Freddie, réalisées par Zandra Rhodes © Eric Morel (photos expo Montreux Studio Experience)

Toujours en 1974, Queen s’embarque pendant presque six mois dans des tournées, en Australie, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Europe. Les concerts donnent l’occasion à Freddie Mercury d’exprimer sa théâtralité en déclinant ses tenues vestimentaires en de nombreuses variations qui composent les facettes de sa personnalité complexe et insaisissable. Portée par le classement de leurs deux derniers albums dans le Top 10 anglais (Queen II, en avril et Sheer Heart Attack, en octobre), la mue du chanteur de Queen opère. Mercury refuse les étiquettes et multiplie les tenues outrancières pour mieux déstabiliser les spectateurs et affirmer sa singularité.

Sur scène, Freddie s’affranchit de sa timidité et arbore un corps qu’il n’a pas peur de montrer, mis en valeur par des tenues moulantes, échancrées et très suggestives. Tantôt blancs (une de ses couleurs préférées), tantôt noirs ou les deux, ses justaucorps de danseur de ballet incarnent cette provocation et semblent traduire une dualité naissante chez le chanteur, à l’image de l’album Queen II, avec sa face blanche écrite par Brian et sa face noire, écrite par Freddie. Malgré sa relation avec Mary Austin, Freddie se pose en fait des questions sur son identité sexuelle. La scène devient pour lui une véritable délivrance et lui permet d’exprimer une ambigüité qu’il a du mal à assumer.

Le tournant de 1975

Le 31 octobre, Bohemian Rhapsody sort en Grande-Bretagne et atteint la première place des charts et y reste neuf semaines, aidé par la diffusion de la vidéo promotionnelle, le 20 novembre, dans l’émission Top Of The Pops. Alors en tournée, Queen est propulsé au-devant de la scène. Le triomphe de la chanson qui avait suscité de nombreuses critiques avant sa sortie, et le succès de A Night At The Opera, donne de nouvelles ailes à Mercury, sur le plan artistique et personnel. Reconnaissant son homosexualité, Freddie se sépare de Mary.

Bohemian Rhapsody, YouTube Queen Official – © UMG , ASCAP, SOLAR Music Rights Management, Sony ATV Publishing, LatinAutor, LatinAutor – SonyATV, EMI Music Publishing

Dès lors, et jusqu’à la fin des années 70, les costumes de scène de Freddie vont s’enchaîner, avec le même esprit de provocation et de connotation, reflétant certains codes de la nouvelle identité sexuelle du chanteur de Queen. Tour à tour, Freddie devient l’Arlequin de la Commedia dell’arte, avec son justaucorps blanc aux losanges oranges et vert ou noirs et blancs (les multiples facettes du chanteur), puis c’est avec la même tenue moulante, cousue de paillettes en argent que Mercury arpente les scènes européennes, avec l’énergie d’un Noureev.

© Eric Morel (Expo Montreux Studio Experience)

La découverte du Japon en avril 1975 est une révélation pour lui. Freddie adopte la culture nippone (pays dans lequel il se rendra très souvent à titre personnel) et n’hésite pas porter, dès 1977, de splendides kimonos traditionnels, qui ne sont pas sans rappeler ceux du célèbre opéra de Puccini, Madame Butterfly. L’actualité culturelle anglaise met à l’honneur le goût de Freddie pour la cuture japonaise, avec l’exposition Kimono : Kyoto to Catwalk, à partir du 29 février 2020, au Victoria & Albert Museum de Londres, où l’on peut admirer un kimono personnel du chanteur (celui que l’on voit porté par Rami Malek dans Bohemian Rhapsody).

« Le port d’un kimono par Mercury révèle comment ce vêtement emblématique a le pouvoir de transcender les identités nationales, culturelles, sexuelles et de genre », explique Anne Jackson, la commissaire de l’exposition.

Kimono de scène de Freddie Mercury © Stéphane (Blog : Destination Queen)

« Je m’amuse avec mes tenues sur scène. Ce n’est plus un concert, c’est un défilé de mode ! » Freddie Mercury

A la fin de la décennie, Queen adopte un style musical plus simple et moins sophistiqué, à l’inverse de ce que furent les albums A Night At The Opera (1975) et A Day At The Races (1976), avec leurs empilements d’harmonies vocales et de guitares. Freddie sait plus que les autres membres du groupe capter l’air du temps, son oreille est une des plus pertinentes de l’industrie musicale. Sentant arriver les années 80, en pleine émergence disco et punk et en réponse à ces deux courants, Queen abandonne la préciosité du glam rock pour un son plus dépouillé que l’on retrouve dans les albums News Of the World (1977) et Jazz (1978).

Le nouveau style de Freddie trouve son inspiration dans les codes vestimentaires gay

A cette époque, Mercury explore sa sexualité sans limites, comme l’illustre sa chanson Don’t Stop Me Now. Très influencé par les Etats-Unis, sa transformation vestimentaire s’effectue durant la tournée nord-américaine de Queen, en 1978. Tout droit sorti des clubs gay américains, un nouveau costume apparaît dans la panoplie de Freddie pour la tournée Jazz :  le pantalon, la veste et la casquette de motard en cuir noir, avec les Ray-Ban Aviator sur le nez. Toujours dans son fantasme de mêler le ballet au rock, le chanteur porte alors des demipointes aux pieds. Freddie adore le cuir et le vinyle qu’il intègre à sa garde-robe et porte volontiers les deux, soit en pantalon, le torse nu avec des bretelles rouges, ou simplement en short (des pantalons qu’il a fait raccourcir). Parfois, une cravate rouge sur ses pectoraux velus remplace les bretelles de la même couleur.

« J’aime le cuir. Ça me dirait bien d’être une panthère noire. » Freddie Mercury

Avec les années 80, Queen élargit son registre musical

En 1979, la new wave, avec ses synthés et ses boîtes à rythmes, déferle sur les ondes radiophoniques, des groupes de rock mythiques comme Led Zeppelin et Black Sabbath se sont dissous. Queen est aux studios Musicland de Munich pour se réinventer et survivre à la décennie suivante. Le groupe va habilement négocier ce virage et s’affirmer davantage sur la scène internationale avec des hits planétaires comme le rockabilly Crazy Little Thing Called Love, en hommage à Elvis Presley, ou le disco-funk Another One Bites The Dust (n°1 aux USA).

Nouveau style, nouveau look !

L’album The Game, qui sort en 1980 (n°1 en Grande-Bretagne et aux USA), montre une nouvelle image du groupe que l’on n’avait pas vu sur une pochette depuis Queen II, avec la fameuse photo inspirée par Marlène Dietrich (lire l’article Queen et le cinéma). Pour les années 80, sur une photo sobre en noir et blanc, les quatre membres endossent le blouson en cuir et n’ont pas l’air commode ! Freddie est passé chez le coiffeur (vive les cheveux courts !) et Brian porte des Ray-Ban mais garde la même éternelle coupe !

Pochette © Queen / Cream – photo de Peter Hince

Il faut attendre la sortie du 45 tours Play The Game et son clip pour voir se réaliser la mue complète de Freddie, avec sa fameuse moustache, dernier symbole de l’archétype macho gay de l’époque (le chanteur est fan de l’acteur américain Burt Reynolds). Sur scène, les pantalons en vinyle rouge avec genouillères bleues de skateboard ont remplacé ceux en noir de Mercury, toujours torse nu, portant parfois une casquette blanche avec des cornes de diable. Freddie a laissé ses demi-pointes au vestiaire pour des baskets blanches (Asics, Nike, Puma, Adidas), la chaussure emblématique des années 80, ou encore des bottes de catch.

Play The Game, YouTube Queen Official – © UMG , ASCAP, SOLAR Music Rights Management, Sony ATV Publishing, LatinAutor, LatinAutor – SonyATV, EMI Music Publishing

« C’est fini les costumes de scène fous. Je vais défendre notre musique, habillé de façon plus décontractée. Le monde a changé, les gens veulent quelque chose de plus direct. » Freddie Mercury

Avec l’album Hot Space (1982), l’album de la discorde, Queen n’en finit pas de diviser les fans (aujourd’hui encore) avec leurs chansons hédonistes disco-funk, au détriment d’un rock plus efficace et fédérateur. Très imprégné par New-York où il a acheté un appartement sur la 58ème rue, Mercury veut surfer sur la vague d’Another One Bites The Dust, convaincu par ce genre de musique qui tourne dans les clubs gay de la Grosse Pomme. Dans cette lignée, son titre Body Language (sans guitare et aux paroles sulfureuses) est le reflet de son mode de vie excessif dans lequel Freddie puise ses expériences festives et ses nouveaux partenaires. La pochette du single fait polémique : elle montre un couple nu et allongé, avec des flèches suggestives peintes sur les corps, notamment une qui indique à la femme le bas-ventre de son partenaire. Elle est censurée aux Etats-Unis malgré la large diffusion de la chanson sur les radios US. Tourné dans un sauna, le clip reprend la même logique que la pochette, il est également banni des chaînes de TV américaines. Les images mettent en scène des hommes et des femmes qui se dénudent, se livrant à des moments de débauche dans la vapeur du hammam (la consommation des corps est le sujet de la chanson). Freddie y apparaît torse nu, une fois de plus, avec une veste en cuir noire sur laquelle sont cousues les fameuses flèches, en cuir blanc.

Body Language, YouTube Queen Official – © UMG , ASCAP, SOLAR Music Rights Management, Sony ATV Publishing, LatinAutor, LatinAutor – SonyATV, EMI Music Publishing

Pochette du maxi 45 tours © Queen Production / Emi Music Publishing

Pour la tournée Hot Space, Mercury fait décliner une collection de tenues à flèches : vestes en cuir identiques de couleurs différentes (rouge et noir, rouges, blanches) qu’il fait faire à Los Angeles, ou encore des pantalons, des débardeurs blancs. Brian, John et Roger préfèrent une simplicité vestimentaire dans l’air du temps : t-shirts de couleur, chemises blanches, pantalons noirs, blouson en cuir, et baskets également.

Mercury fait réaliser une veste particulière avec des centaines de flèches en satin de toutes les couleurs et cousues main, que l’on peut voir notamment sur la pochette de son 45 tours solo, Made In Heaven (1985).

© CBS Record / Raincloud Productions Ltd.

« Je m’habille de façon provocante mais avec goût ! » Freddie Mercury

Si pour la nouvelle décennie, le changement de look de Queen s’est opéré de manière radicale, les années à venir s’annoncent riches et prometteuses.

[Fin de la première partie]

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© Sébastien Martignac 2020