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Interview de Peter Hince – Partie 1

Interview de Peter Hince - Partie 1

"J'ai vécu le rêve de beaucoup de gens"

Peter Hince a débuté sa carrière dans le monde de la musique en 1973. Dès l’âge de 18 ans, il s’installe à Londres pour vivre avec son cousin, qui travaille alors pour des groupes de rock. Et bientôt il collabore en tant que roadie avec des artistes tels que David Bowie, Mott the Hoople, Lou Reed et enfin Queen, avec lesquels il a passé onze ans à faire des tournées dans le monde entier. C’est à cette époque qu’il commence la photographie, en immortalisant le groupe à de nombreuses reprises pendant leurs jours de gloire – photos dont certaines ont été utilisées pour les disques de Queen et qui ont ensuite été exposées partout dans le monde. Il a raconté sa vie avec le groupe dans son livre Queen Unseen. Publié en 2011 et réédité en 2015, il a été traduit dans une vingtaine de langues et offre un aperçu des années au cours desquelles Queen est devenu l’un des plus grands groupes du monde. A l’occasion de la sortie en France du livre Queen, La Totale de Benoît Clerc, qui contient de nombreuses photos issues de ses archives (dont certaines inédites), il a eu la gentillesse de répondre à mes questions.

Photo © Peter Hince

Vous avez commencé à travailler très jeune et vous mentionnez souvent dans votre livre que vous êtes issu de la classe ouvrière britannique.

Pourquoi avez-vous choisi de travailler comme roadie pour un groupe de rock?

Peter Hince : Eh bien, j’ai quitté l’école à quinze ans et j’ai travaillé en usine – je voulais être footballeur, mais je n’étais clairement pas assez bon, alors c’est passé à la trappe, et puis j’ai voulu être une rock star, mais là encore, je n’avais ni le talent ni la coordination pour y arriver. Alors je suppose qu’être roadie était la meilleure chose à faire, car je n’allais jamais être assez bon pour être un guitar hero. J’avais quelques bonnes poses, mais je n’avais pas ce talent naturel, donc devenir roadie était une façon de faire ce que je voulais faire – c’est-à-dire être impliqué dans la musique, parce que c’était mon truc depuis mon plus jeune âge, en particulier pendant mon adolescence avec les Beatles et les Stones, puis au début des années 70 avec Led Zeppelin et ce genre de groupes; et donc oui, c’était ma vie et soudain, j’ai eu la chance d’avoir cette opportunité et je suis parti de là.

Laissez-passer pour les concerts d'été de Queen en Angleterre en 1976 - © Peter Hince

Avec quels autres artistes avez-vous collaboré et qu’est-ce qui distinguait Queen?

Peter Hince : Eh bien, j’ai rencontré Queen pour la première fois alors qu’ils étaient en première partie et que je travaillais pour Mott The Hoople, un groupe de rock britannique qui avait un certain succès en Amérique et qui était important en Angleterre. Les membres de Queen étaient inconnus et venaient juste de sortir leur premier album.

C’est une histoire étrange parce que le lieu de répétition à Fulham est maintenant un supermarché. C’était autrefois un cinéma et au début des années 70, Emerson Lake & Palmer, le super groupe l’a acheté alors que de nombreux cinémas étaient en train de fermer. Ils l’ont transformé en salle de répétition et l’ont appelé Manticore. ELP [Emerson, Lake & Palmer] avait ses bureaux à l’étage, Jethro Tull [groupe de rock britannique] avait aussi des bureaux, et d’autres groupes y stockaient leur matériel. Manticore était loué aux grands groupes de l’époque. J’ai travaillé avec David Bowie et David y a répété, tout comme Mick Ronson et Lou Reed, Roxy Music, Led Zeppelin et Wings.

Tous les sièges avaient été retirés du rez-de-chaussée, il y avait une scène, où l’on pouvait installer un système d’éclairage. Les groupes pouvaient y faire des répétitions de production adéquates. C’était l’endroit idéal pour les plus grands groupes, et de l’autre côté de la rue, il y avait un pub appelé « The Golden Lion ». Vous pouviez carrément y entrer et votre rock star préférée était au bar, ou vous pouviez aller aux toilettes pour hommes et vous pouviez littéralement « traîner » avec votre rock star préférée que vous connaissiez – pour ainsi dire !

Personne n’avait de garde du corps, c’était une époque complètement différente, il n’y avait aucune sécurité, et occasionnellement, au Golden Lion, des groupes de musique se produisaient de l’autre côté de la rue. Ils allaient simplement jouer. C’était une période passionnante ; les gens étaient vraiment à fond dans leur musique, et c’était une grande aventure, effectivement.

Mott The Hoople répétait à Manticore et c’était une journée de novembre froide et humide, et il n’y avait pas de chauffage. Nous avions donc les lumières allumées et ces gros chauffages au gaz, de gros cylindres avec des radiateurs soufflants, et ils avaient mis des soies de parachute partout dans la zone des stalles pour maintenir la chaleur.

Ce n’était pas un endroit glamour, c’était plutôt miteux, mais c’était là où les gens allaient – c’était du rock & roll. Quoi qu’il en soit, les Mott ont mis leurs manteaux et leurs écharpes, et les Queen sont entrés en portant leurs robes, leurs soies et leurs satins et tout le reste, et c’était comme : « Putain, mais qui sont ces types ? Pour qui se prennent-ils ? » Ils sont montés sur scène, et même là, pendant la répétition, Freddie s’est lancé – se pavanant dans ses satins Zandra Rhodes. C’était tout simplement extraordinaire parce que tout le monde était plutôt décontracté et nous pensions qu’ils n’étaient qu’une bande de poseurs – je veux dire : « Pour qui se prennent-ils ?! Ils ont sorti un album et personne n’a jamais entendu parler d’eux auparavant ».

L’attitude de Queen n’a jamais changé – « Nous allons être le plus grand groupe du monde », vous savez, « Chéri, nous sommes les meilleurs – nous allons vous montrer que nous sommes les meilleurs » et c’était là dès le premier jour où je les ai vus.

On ne rencontre pas Fred, on l’expérimente en quelque sorte, et ensuite ils sont venus en tournée avec Mott The Hoople… Je pense qu’ils ont beaucoup appris de Mott The Hoople en termes de professionnalisme et de mise en scène d’un spectacle pour pouvoir l’intégrer à leurs propres idées, et c’était intéressant de voir comment ils se développaient. J’ai bien aimé certains de leurs trucs lourds, un peu à la manière de Led Zeppelin, mais personne ne pensait qu’ils réussiraient. Cela montre à quel point on peut se tromper, n’est-ce pas ?

Vous êtes très franc dans votre livre de souvenirs que ce soit par rapport aux pays que vous traversez, à l’équipe de tournée, aux membres du groupe et même par rapport à vous.

Lorsque vous avez commencé à écrire le livre, y avait-il des sujets que vous considériez comme tabous?

Peter Hince : Absolument, je ne parle pas de la vie personnelle du groupe et je ne parle pas de la maladie de Freddie, et il y avait une sorte de règle non écrite quand on était en tournée selon laquelle on était très protecteur du groupe et des autres. On ne révélait pas de secrets, pour ainsi dire, et oui, je suis très franc et je parle honnêtement des gens, mais je ne vais pas entrer dans leur vie personnelle ou leurs défauts ou quel que soit le nom que vous voulez leur donner. Je ne pense pas que ce soit la bonne chose à faire. Je voulais juste rendre hommage au groupe et aux moments que j’ai passés. Les opportunités, l’aventure et le fait que c’était juste un grand périple. C’était un travail très dur, mais plus je travaillais, plus j’avais de la chance. C’était juste un moment merveilleux dans ma vie.

Le groupe était connu pour ses prestations sur scène, mais il dépendait beaucoup de l’équipe qui partait en tournée avec lui et que le public voyait peu.

Pouvez-vous nous présenter cette équipe?

Peter Hince : Tout à fait ! Quand j’ai commencé dans le métier, il y avait des roadies et les roadies s’occupaient de tout : vous pouviez installer les guitares, la batterie et les claviers, conduire le van. A mesure que les groupes devenaient plus importants et qu’ils avaient besoin de plus de monde, les gens avaient tendance à se spécialiser davantage, alors quand j’ai commencé à travailler pour Queen en 1975, c’était plus spécialisé.

J’étais le roadie de Freddie et je m’occupais du piano et je réparais le micro et tout l’équipement de sonorisation pour cela. Je m’occupais de ses microphones, de ses tambourins et de tout son matériel. J’étais aussi le roadie de John et je m’occupais de son équipement de basse, de ses guitares et de toutes les autres choses du côté droit de la scène.

Ce que voyait Peter Hince chaque soir. Ici à l’Arène Budokan à Tokyo en février 1981 – © Peter Hince

Il y avait un roadie à la batterie qui s’occupait de Roger et un roadie à la guitare qui s’occupait de Brian, donc nous étions trois. Ensuite il y avait un ingénieur du son qui travaillait pour Queen depuis qu’ils étaient à l’université, un type qui s’appelait John Harris et ils étaient amis d’université et il avait en quelque sorte grandi avec eux si vous voulez. Il était l’ingénieur du son et puis il y avait un autre gars qui s’occupait du son sur scène et du mixage des retours. Ensuite il y avait un éclairagiste. Tous les autres étaient engagés pour les tournées, de sorte que vous aviez des personnes supplémentaires pour l’éclairage, le son, des chauffeurs de camion, etc. Au fur et à mesure que la tournée et le spectacle live prenaient de l’ampleur, l’équipe s’est agrandie. Comme Queen disposait d’installations d’éclairage de plus en plus grandes, il fallait aussi plus de camions.

L’autre personne clé était le directeur de tournée. Gerry Stickells qui, à partir de 1976, a été le directeur de tournée de Queen pour le reste de leur carrière. Il avait été le roadie et le tour manager de Jimi Hendrix, et il avait travaillé avec tous ces autres groupes célèbres dans les années 60. Il était génial, un type très très intelligent qui savait comment faire avancer les choses. Il savait comment gérer les différents egos et maintenir l’équilibre dont vous avez besoin en tournée, parce qu’il y a beaucoup de décalage entre les personnalités des gens et toutes les politiques impliquées à différents niveaux.

Et il établissait le budget de la tournée et s’occupait des gens, et il était très juste. Gerry a beaucoup contribué au succès de Queen en tournée, et en particulier lorsque nous sommes allés en Amérique du Sud – c’était le premier groupe à conquérir l’Amérique du Sud – et c’est vraiment grâce à Gerry et à toutes ses compétences.

Je dirais qu’à l’époque du Works Tour en 1984-85, nous étions peut-être 24 dans l’équipe proprement dite, sans compter les chauffeurs, les traiteurs, etc. Lors de la dernière tournée, celle du Magic Tour, il y avait tellement de gens que je ne savais même pas ce que faisait la moitié d’entre eux parce qu’il y avait différentes scènes pour les spectacles en plein air.

Nous venions faire le spectacle, la répartition des scènes, et nous passions à une autre. C’est à cette époque que les tournées ont changé, avec tous les intérêts commerciaux et le sponsoring.

Le groupe avait beaucoup de gens qui voyageaient avec lui. Ils avaient tous des gardes du corps et/ou des assistants personnels. Il y avait aussi un habilleur et un kinésithérapeute pour Fred. Et le groupe voyageait séparément de l’équipe.

J’ai été surprise par la diversité des missions qui vous étaient confiées, mais surtout par les compétences musicales que votre poste exigeait : vous accordiez les guitares, vous étiez parfois chargé d’acheter des instruments de musique, vous deviez connaître les partitions pour rappeler certains accords à Freddie Mercury en cas de trou de mémoire, et vous avez même une fois remplacé sur scène John Deacon pour le début d’Another One Bites the Dust!

Est-ce que vous étiez musicien vous-même avant de devenir roadie?

Peter Hince : Non, je pouvais accorder une guitare mais en aucun cas je n’étais musicien. Je connaissais quelques accords et je pouvais en jouer quelques uns au piano. J’avais une certaine oreille, je pense que c’était l’essentiel. En fait, avoir un roadie qui est musicien n’a jamais été une bonne idée parce qu’il avait le sentiment d’être un peu au-dessus du reste de l’équipe parce qu’il était musicien. C’est bien mieux d’avoir quelqu’un qui est techniquement bon et qui peut travailler spontanément, réparer les choses rapidement et avoir un peu de connaissances musicales, que quelqu’un qui pense qu’il est « artiste » et musicien. C’était un travail difficile avec toutes les exigences physiques, tous les chargements de camions, les engins de transport etc. Il y avait des gens qui étaient des joueurs convenables, mais en général, avoir un musicien comme roadie n’était pas une bonne idée à l’époque. Mon travail a en quelque sorte évolué et changé, dans la mesure où j’ai pris de plus en plus de responsabilités. J’étais jeune et je me laissais facilement dirigé, alors quand on me demandait si je voulais faire quelque chose de plus, je répondais « oui, d’accord ». Mais je n’ai pas été payé plus pour autant ! J’ai ensuite dû déclencher les feux d’artifice parce que je connaissais si bien le timing des chansons. On m’a aussi confié les lumières spéciales pour le public, les lumières des élévateurs de batterie, la synchronisation de ces choses. Mais nous étions tous un groupe très soudé qui était ensemble depuis longtemps et il y avait une sorte de synchronisme, nous nous connaissions très bien, et les autres gars prenaient d’autres choses à leur compte aussi, et à ce moment-là nous n’étions plus que trois à plein temps pour le groupe. C’était amusant. Ce n’était jamais une corvée je suppose, je veux dire le travail physique, oui c’était dur, mais c’était juste une aventure, et tout cela en faisait partie. Je pense que si vous étiez parti en tournée en vous attendant à ce que ce soit un voyage facile et en vous disant que vous étiez un musicien raté ou un musicien, ou quoi que ce soit d’autre, cela ne serait jamais arrivé. Vous n’auriez jamais fait de tournée, pas en tant que roadie à l’époque en tout cas, parce que c’était un environnement difficile et qu’il y avait beaucoup de camaraderie mais aussi beaucoup de… comme à l’école, les enfants peuvent être cruels, les autres membres de l’équipe peuvent être cruels, il fallait être dur et apprendre à être la cible de quelques blagues ou ce genre de choses, mais c’était la survie du plus fort, et ça vous endurcissait. D’une certaine manière, cela vous endurcissait pour la vie.

Sur le tournage de la vidéo « Somebody to Love » aux Studios Wessex de Londres en 1976 – © Peter Hince

Vous étiez présent pendant leurs tournées, mais aussi pendant leurs performances live à la TV, les enregistrements en studio, et aussi sur le tournage de leurs clips.

Avez-vous des anecdotes sur des concerts ou des enregistrements qui ont eu lieu en France? Et quel est votre meilleur souvenir de manière générale?

Peter Hince : Nous étions à Super Bear* en été 78, à la fin de l’été, parce que nous avions commencé l’album Jazz à Montreux, et je conduisais une vieille camionnette à travers l’Italie jusqu’en France et c’était à nouveau génial. C’était une aventure. À l’époque, nous n’étions que deux roadies et l’ingénieur de studio, et nous étions un peu comme les trois Amigos à l’avant de cette camionnette, en route pour le sud de la France jusqu’à Monte Carlo et toutes ses lumières, c’était très amusant. Nous avons été accueillis à l’hôtel Negresco de Nice, l’un des meilleurs hôtels du monde. Et nous les avons suivis dans les collines, à une heure de Nice, où se trouvait le studio, à Berre-les-Alpes. A ce moment-là, la plupart des pistes d’accompagnement avaient déjà été faites, donc c’était des voix, des overdubs de guitare, ce genre de choses. Je me souviens juste que c’était la même chose que la plupart des autres enregistrements: ça devient un peu ennuyeux quand on n’est pas impliqué. Juste être assis là, à faire une tasse de thé ou à changer les cordes de guitare ou autre… Je sais que le producteur est devenu « créatif » et n’a pas aimé la salle de studio. Nous avions tout le matériel, mais nous ne pouvions pas faire monter la semi-remorque dans les collines. C’était une de ces petites routes de Provence, alors nous avons dû le transférer dans une petite camionnette Citroën et le monter petit à petit. Et puis il y a toutes ces marches dans le studio, et nous avons finalement réussi à l’amener là-bas, à le mettre en place et le producteur a dit : « Je n’aime pas le sol ». Nous avons donc dû tout sortir à nouveau, enrouler le tapis, l’emmener dehors et déplacer tout le matériel à l’extérieur, puis il y a eu une de ces pluies torrentielles que vous avez dans le sud de la France, et c’était l’un des jours où nous n’étions pas très heureux…

En fait, nous avons eu un autre orage incroyable que Brian a enregistré sur son lecteur de cassettes portable, et il est utilisé sur une chanson appelée Dead On Time et on peut entendre toute la pluie et l’orage. Je me souviens aussi qu’il y a eu une sorte d’éclipse lunaire ou quelque chose en rapport avec les étoiles, ce que Brian connaît bien parce qu’il est astrophysicien, qu’il a un diplôme de Docteur et tout ça. Nous étions un peu éparpillés. C’était un petit village, donc… Mais comme tout enregistrement, vous commencez à des heures bizarres, vous travaillez à des heures bizarres et oui, c’était comme une autre session d’enregistrement, sauf que c’était dans le sud de la France. C’était juste un peu plus sympa de prendre l’air là-bas que de se trouver dans les endroits difficiles de Londres où nous étions, donc oui, c’était agréable.

Le studio n’existe plus. C’est un restaurant maintenant, m’a-t-on dit. Un type m’a contacté et m’a envoyé des photos.

*Super Baer Studios : studio d’enregistrement situé à Berre-les-Alpes (petit village médiéval situé sur les contreforts des Alpes maritimes). Dès 1978, les artistes pouvaient y trouver la tranquillité pour travailler, tout en étant proche de Nice et Monaco. Avec une conception acoustique de pointe réalisée par Tom Hidley (Eastlake Audio), Super Bear a attiré certains des plus grands noms de l’industrie musicale : Queen, les Pink Floyd, Paul McCartney et Ringo Starr, Kate Bush, Police ou Elton John y ont enregistré avant qu’un feu de forêt ne détruise le studio en 1986. Un restaurateur a ensuite racheté l’endroit et reconstruit en 1989. Aujourd’hui, les bâtiments abritent des gîtes ruraux, où l’on peut passer plusieurs nuits.

Et votre meilleur souvenir avec Queen?

Peter Hince : C’est très difficile à dire, je veux dire qu’il y en a eu tellement. Je pense à ce sentiment d’accomplissement quand, vous savez, nous avons joué au Madison Square Garden à New York par exemple. Vous savez que vous avez participé à cela et quand le groupe était vraiment au top. Etre sur scène et sentir l’énergie qui s’y dégage, et vous pouviez par procuration faire partie de ce que vous aviez aidé à créer. C’était assez spécial. Ou quand Fred venait me taper dans le dos et me dire « Merci » ou autre, ce genre de choses.

Le Live Aid était bien sûr magique mais encore plus après. A l’époque, c’était une pression incroyable, nous n’avions guère le temps, il n’y avait pas de soundcheck, mais le groupe a montré pourquoi il était l’un des meilleurs groupes au monde, qu’il pouvait continuer à jouer sans lumière, sans fumée, sans explosions, juste quatre gars. Un groupe de trois musiciens et un chanteur qui n’était pas trop mal non plus.

Évidemment, voyager dans différents endroits. Ouais, il y avait beaucoup de hauts. Juste cette opportunité de passer toute ma vingtaine jusqu’à l’âge de 31 ans. Ouais, juste faire ça, vivre le rêve de beaucoup de gens. Rencontrer de temps en temps une jeune femme en cours de route, ce genre de choses, alors certains jours, j’avais l’impression d’être mort et d’aller au paradis.

Votre livre contient de nombreuses anecdotes très drôles, mais témoigne également de conditions de travail très difficiles et d’une vie coupée des réalités quotidiennes et entièrement dévouée au groupe.

Avez-vous eu l’impression à un moment de vous être oublié vous-même, d’où votre volonté d’arrêter de travailler pour Queen en 1986? Et est-ce que ça a été difficile de quitter cette équipe, qui était un peu comme une deuxième famille?

Peter Hince : J’ai réalisé que je voulais évoluer vers 1984. Je pense que le groupe avait un peu changé, il y avait de la tension, et c’était une période où je pense qu’ils auraient pu se séparer après le Works Tour. Je travaillais plus dur que jamais, et je sentais que je n’étais pas apprécié, et que je n’étais certainement pas très bien récompensé financièrement.

J’avais accompli beaucoup de choses et qu’est-ce que je pouvais faire de mieux? J’ai reçu des offres d’autres groupes, mais je voulais faire quelque chose pour moi, et la photographie a toujours été mon passe-temps avec Queen.

Je voulais faire quelque chose de créatif, quelque chose pour moi. Et c’était l’une de ces progressions naturelles dans la vie quand soudain vous pensez juste: « Ouais, ok, je vais aller par là maintenant », sans peur aussi. Donc ce n’est pas que je me suis réveillé brusquement un jour. La décision était là depuis un moment et le groupe, je pense, a été assez surpris et m’a dit « on va s’arranger, on va te donner plus d’argent » mais ce n’était pas vraiment à cause de ça, c’était moi qui voulais faire autre chose.

Freddie, en particulier, m’a beaucoup soutenu parce que j’allais faire quelque chose de créatif. Si j’étais parti travailler pour un autre groupe, il ne me l’aurait jamais pardonné. Alors oui, c’était difficile. C’est drôle, c’était encore difficile après mon départ, pendant la première ou la deuxième année de photographie, parce que je voulais prendre mes distances avec le monde de la musique et me concentrer sur le métier de photographe. Mais il y avait des rappels tout le temps.

Je voyais des gens du métier ou des gens le découvraient, et tout ce qu’ils voulaient entendre c’était mon temps passé avec Queen, c’est comme “je fais autre chose maintenant, vous savez”, alors ça a pris un certain temps. C’était toujours dans mon système, je n’étais pas sevré, pour ainsi dire.

Je ne regrette pas du tout d’être parti, j’ai fait toutes les tournées, donc je pense que je suis parti au bon moment, et le business était en train de se transformer définitivement en autre chose, disons en devenant plus commercial et en faisant du sponsoring, tout ça, et les gens se prenaient beaucoup trop au sérieux.

C’était donc un tournant pour le groupe à ce moment-là?

Peter Hince : Oui, c’est vraiment le Live Aid qui les a relancés, parce qu’après le Live Aid, ils se sont dit: “eh bien, peut-être que nous sommes encore bons à ça, vous savez. Nous avons quelque chose à offrir en tant que groupe de quatre musiciens”. Et ils avaient tous fait -sauf John- des projets solo et bien sûr, les projets solo n’ont jamais eu autant de succès que les projets de Queen -comme dans n’importe quel groupe. Je pense qu’ils se sont dit: « Nous pouvons continuer et nous pouvons faire quelque chose, quoiqu’il en soit ». Ensuite, ils ont fait la bande-son de Highlander et ensuite le Magic Tour.

Je pense qu’il y a eu certains carrefours dans la carrière de Queen. Je dirais probablement que les années 1979-1980 ont été le plus grand type de carrefour et de changement pour eux. Quand ils sont allés à Munich et ont commencé à enregistrer avec Mack* et qu’ils ont fait l’album The Game, c’était à la fin d’une année d’exil fiscal qui avait débuté avec l’album Jazz en Suisse et en France, même si on n’avait pas le droit de le dire. C’était juste « une coïncidence » si vous écriviez, enregistriez et tourniez en dehors du Royaume-Uni, parce que c’était à l’époque où un gouvernement travailliste était en place, avant Margaret Thatcher et qu’il y avait quelque chose comme 98% d’impôts. Alors pourquoi ne pas le faire?

Cette année fiscale s’est terminée à Munich et c’était une session très détendue, ils ont adoré Munich; ils avaient vu le studio et ils l’ont aimé, et ils sont entrés en studio sans pression, sans album à faire, sans la contrainte d’avoir trois chansons de Fred, trois de Brian, une de John, une de Roger ou autre. C’était juste une sorte d’arrangement libre et je pense qu’ils en ont tiré des choses formidables, et c’était aussi un changement de style parce que Crazy Little Thing Called Love a été leur premier numéro 1 en Amérique et que c’était une sorte de rockabilly à la Elvis, écrit dans la baignoire par Fred quand j’ai dû revenir en avion avec lui depuis Londres et cette histoire est dans mon livre, comme vous le savez.

Quoi qu’il en soit, travailler avec Mack qui était l’ingénieur – et Queen l’a nommé coproducteur à la fin de l’album parce que son influence était si forte- c’était frais et nouveau, et ils ne faisaient pas tous ces trucs de voix superposées et d’overdub et tout ça. The Game était énorme, c’était leur plus gros album en Amérique. Ensuite Another One Bites the Dust, un autre numéro un, et c’est à ce moment-là qu’ils ont été le plus grand groupe du monde. En 1980-81, en conquérant l’Amérique du Sud, c’était probablement la meilleure époque, et ils étaient encore jeunes et affamés et ils en voulaient vraiment, ils voulaient gagner ces nouveaux territoires et c’était une époque passionnante. Ils ont ensuite maintenu le format avec Mack à Munich, ce qui a très bien fonctionné. On vient de me dire -parce que ma partenaire est de Munich et que nous y avons passé beaucoup de temps- qu’ils vont donner à une rue le nom de Freddie à Munich, la Freddie Mercury Straße, et ce sera peut-être plus tard dans l’année.

Fred aimait la ville parce qu’il y a vécu pendant un certain temps, et il avait un partenaire là-bas et il y a fait son album solo. Et il était le parrain d’un des enfants de Mack. Il avait donc une grande affinité pour Munich et tout le monde aimait Munich. C’était excitant, énergique, les boîtes de nuit étaient fantastiques, il y en avait pour tous les goûts et personne ne les dérangeait. C’était alors un monde très différent parce que vous n’aviez pas de réseaux sociaux, vous n’aviez pas de téléphones portables, rien de ce genre, et je ne dirais pas que c’était innocent mais il y avait moins de cette pression même s’ils étaient parmi les plus grandes stars du rock dans le monde.

*Il fait référence à Reinhold Mack, producteur de musique et ingénieur du son allemand, qui a travaillé notamment aux Studios Musicland de Munich et qui a collaboré notamment avec Queen, les Rolling Stones, Deep Purple, Peter Straker, Billy Squier…

Est-ce que ça a été difficile de quitter Queen?

Peter Hince : Je voulais vraiment faire autre chose parce que je pensais que c’était peut-être la fin. Eh bien, juste une combinaison de choses et comme je le dis, je ne le regrette pas. Ce sont ces choses dans la vie où l’on a l’impression que c’est la bonne chose à faire, comme lorsque j’ai accepté le poste chez Queen ou lorsque j’ai décidé de quitter la maison, de venir à Londres, de traîner avec mon cousin et de travailler pour David Bowie. Ils m’ont juste dit : « tu veux venir en tournée avec nous, passer du temps avec nous ? » et je suis devenu le roadie guitare de Mick Ronson ! Donc toutes ces décisions dans ma vie que vous pourriez peut-être considérer comme des décisions majeures, je les ai en fait trouvées assez faciles à prendre parce qu’elles ont été mûries pendant un certain temps avant d’être formulées. Alors oui, c’était difficile mais comme je le dis, je ne regrette rien du tout.

J’ai été très touchée par la partie de votre livre où vous décrivez la façon dont le travail avec Queen vous tenait éloigné des obligations familiales et vous isolait en quelque sorte…

Peter Hince : Quand j’ai écrit le livre, je voulais qu’il soit honnête. Je voulais que ce soit réel et je voulais que celui qui le lise puisse sentir qu’il est là avec moi. Tous les gens qui travaillent sur un chantier, dans un bureau, tous ceux qui auraient rêver de travailler pour un groupe de rock à l’époque. Et je voulais montrer tous les hauts et les bas, la réalité, et en étant, comme vous le dites, loin de ma famille. Je pense qu’il y a eu des moments où je voyais mes parents une fois par an, mais cela faisait partie du travail. Même si votre vie était guidée par la tournée ou l’enregistrement ou autre chose, vous ne saviez jamais vraiment où vous alliez être. Mais vous étiez redevable au groupe. Peu importe ce que le groupe faisait, il fallait le faire. Et j’ai dû travailler la veille de Noël, le lendemain de Noël, conduire le jour de Noël, toutes sortes de choses comme ça. Alors vous oubliez les 9 à 5, les 40 heures par semaine, et vous vous contentez de faire ce qu’il faut. Mais bien sûr, vous savez que vous pouvez aller dans de beaux endroits exotiques et faire des choses dont vous ne pouvez que rêver. Si vous m’aviez dit à quinze ou seize ans que « à vingt ans, vous serez allé en Amérique » ou « à vingt et un ans, vous serez allé au Japon », et toutes ces choses! Il y avait donc des ambitions satisfaites d’une certaine manière, mais nous avions tous quand même une vie personnelle et les relations étaient évidemment très difficiles quand on était en tournée, et avoir une vie de famille de quelque nature que ce soit vraiment…et pour le groupe aussi. Et je pense qu’en regardant en arrière et en réalisant la pression que le groupe subissait…Vous savez, c’est comme si vous aviez un disque à succès. La maison de disques veut alors un autre hit, ils veulent une plus grande tournée ! Et je pouvais le voir parce que j’étais très proche de John, et j’ai pu voir comment ça l’affectait.

Et c’est comme Freddie le disait parfois quand il était un peu fatigué et émotif ; il disait : « Putain, chéri! Je ne veux pas être Freddie Mercury aujourd’hui ». Il se réveillait et ne voulait tout simplement pas être Freddie Mercury, parce que Freddie Mercury était quelqu’un de très différent de ce qu’était Freddie, c’était son personnage de scène. C’était vraiment une personne très timide. Il était heureux d’être à la maison. Vous savez, c’était deux personnes très différentes mais il a créé ce personnage de scène et ce mythe si vous voulez, et les gens voulaient qu’il soit à la hauteur, ce que je peux comprendre.

D’une certaine manière, c’était génial, vous étiez dans cette bulle – cette bulle protectrice- vous aviez votre famille de rock and roll, donc tout ce qui se passait chez vous était protégé. Je veux dire, politiquement, je n’avais aucune idée de ce qui se passait au Royaume-Uni. Nous étions en Amérique pendant deux mois, vous n’entendiez jamais parler des nouvelles internationales, pas à l’époque. Vous rentriez à la maison et vous appreniez que quelqu’un de célèbre était mort et vous ne le saviez pas. Vous étiez donc isolé de la vie réelle, et vos factures étaient payées par la banque, et quelqu’un s’occupait de mon appartement. C’était deux vies -vous aviez votre vie loin de chez vous et quand vous le pouviez, vous aviez votre vie à la maison, mais ce n’était pas grand-chose. Et c’était vraiment pareil pour tout le groupe aussi, une vie de jeune homme.

Bibliographie :

HINCE, Peter. Queen Unseen: My Life With the Greatest Rock Band of the 20th Century. Music Press Books, Octobre 2015. Livre de poche (version anglaise).

Je vous recommande vivement de lire le livre de Peter, qui donne un bon aperçu de la vie autour d’un groupe aussi célèbre. Ce que l’on imagine et ce que l’on connaît moins de l’envers du décor. C’est un témoignage inédit, réaliste et honnête sur Queen, mais aussi sur toute une époque de l’histoire de la musique.

© Peter Hince

CLERC, Benoît. Queen, La Totale: Les 188 chansons expliquées, E/P/A Editions, 14 Octobre 2020.

Benoît Clerc détaille l’histoire de Queen, album par album et chanson par chanson, dans un livre agrémenté de témoignages d’époque. Vous pouvez y retrouver de nombreuses illustrations, et en particulier de magnifiques photos de Peter Hince (certaines inédites).

Couverture du livre de Benoît Clerc – Photo : © Mick Rock

A propos de Peter Hince :

Si vous souhaitez contacter Peter Hince pour des éditions limitées ou des tirages originaux, une demande de conférence ou de présentation (pour des clients privés et des événements d’entreprise) ou une demande d’exposition photo, vous pouvez lui écrire via la rubrique « Contact » de son site web : https://www.peterhince.co.uk/index.php?f=394

Interview de Peter Hince publiée le 26 octobre 2020 (part 1) et le 2 novembre 2020 (part 2) sur le blog de Stéphane : Destination Queen

Photos © Peter Hince

Toute reproduction, partielle ou totale, de cette interview est interdite sans autorisation de l’auteur.

Partie 2 "Ils m'ont fait confiance et cela m'a incité à devenir photographe"

Retrouvez l’interview (part 2) de Peter Hince par Stéphane ici :

        ➡️   Entretien avec Peter Hince (part 2)